Bien triste pays qui ne peut acueillir la richesse du monde

Le débat qui a lieu aujourd’hui sur la question des sans-papiers tourne presque exclusivement autour des quotas et des critères d’admission. Tout en reconnaissant volontiers que la lutte commencée il y a deux ans avec l’occupation de l’église St-Ambroise était justifiée, qu’elle a attirée l’attention sur un certain nombre d’incohérences dans la législation, on nous rappelle avec bon sens que la France « ne peut pas accueillir toute la misère du monde ».

Ce raisonnement-là ne nous intéresse pas ; ce que nous voudrions montrer c’est qu’il existe une autre possibilité d’analyse de la question. L’analyse qui nous est proposée (imposée) correspond au point de vue d’un individu qui se place face au monde, position depuis laquelle il ne peut que constater son impuissance face à des forces qui le dépassent infiniment et qu’il ne peut qu’essayer de gérer au mieux par l’établissement de quotas et autres critères d’admission.

Or, justement, ce que la lutte des sans-papiers nous apporte c’est une alternative à cette position d’impuissance. Une alternative qui refuse de penser en termes de globalité, non pas parce qu’elle prône une démission de la pensée, mais au contraire parce qu’elle ne veut pas penser à partir de fantasmes et de constructions imaginaires. Car il s’agit de constater que les flux migratoires sont une réalité qui n’est pas prévisible ni maîtrisable, étant donnée la quantité infinie de facteurs qui peuvent l’influencer. Toutes les politiques des dernières décennies ont essayé, avec plus ou moins d’humanisme, de prédire et de contrôler les migrations et toutes se sont avérées inefficaces quant à leur but avoué.

L’alternative à cela, celle que les sans-papiers ont proposée, est de partir d’une situation concrète. Ils ont montré qu’au-delà des calculs, il y a ici et maintenant un certain nombre de personnes qui vivent ici, qui développent la culture ici, qui travaillent ici, qui pensent ici… mais que l’on ne veut pas accepter au nom d’une idéologie qui conçoit la nation comme une idée figée et sans fondement positif. Ils ont mis en avant une pensée de la nation comme émanation des rapports concrets des habitants d’un territoire donné (conception qui, soit dit en passant, pourrait intéresser les démocrates s’ils voulaient opposer à l’extrême droite autre chose que des calculs électoralistes).

Tout ceci a permis ainsi une nouvelle pensée du social comme développement dans des situations concrètes de la solidarité sans tenir compte de l’impératif de la globalité, c’est-à-dire de l’impératif économique, qui, bien qu’il n’existe pas en tant que situation globale qui déterminerait toutes les autres, existe en tant que tendance à détruire le lien social, à l’isolement individualiste dans chaque situation.

Des sans-papiers participent à la vie sociale dans de multiples situations qui ont lieu sur le sol français, ils participent à leur développement et les enrichissent de leur culture, même si leur apport est en partie bloqué par l’oppression qui pèse sur eux. C’est pourquoi nous refusons absolument de les tenir pour des facteurs de misère ; la misère économique n’a pas été amenée en France par les immigrés, elle est produite ici tous les jours par des choix politiques mettant au premier plan les intérêts économiques au mépris le plus flagrant des hommes et des femmes.

Mais surtout, la lutte commencée il y a deux ans constitue un apport richissime dans le sens de la construction d’une société solidaire.

C’est aussi pourquoi tous ceux qui militent quotidiennement dans ce sens ne peuvent accepter d’autre solution que la régularisation globale de tous les sans-papiers.