Qui sommes-nous ?

Nous sommes un groupe de personnes de nationalités, de pratiques et d’horizons différents. Les notes qui suivent expliquent les raisons d’être du collectif Malgré tout, lancé au milieu des années 1980, ainsi que du manifeste du Réseau de Résistance Alternative, dans lequel nous nous reconnaissons.

1) A l’époque du premier collectif, aucune contestation ne parvenait à faire face au triomphe du néo-libéralisme. L’engagement correspondait à une pratique d’évitement du pire. Le collectif est né du désir libertaire d’articuler la prise en compte de la complexité du réel avec des pratiques d’émancipation concrètes. Aujourd’hui, la situation est différente : une contre-offensive mondiale a émergé depuis 1994 mais n’a pas réussi à inverser le rapport de force. Conscients de cette nouvelle donne, nous désirons assumer le défi que cela pose à notre époque. Comment agir en prenant acte de cette réalité ?

2) Des expériences pratiques très riches connaissent aujourd’hui un moment d’épuisement et de retrait. La mouvance alternative a sous-estimé la profondeur et la force du cycle de destruction qui caractérise notre époque. Ce que nous avons sous-estimé, c’est la puissance du processus de virtualisation du monde et de la vie par les impératifs géopolitiques et économiques. Cette virtualisation est constituée de processus bien réels et matériels (rôle de la technique, du biopouvoir, de la société disciplinaire) qui nous séparent de notre puissance d’agir.

3) Notre question est : comment s’engage-t-on dans une époque obscure ? Comme dans nos premiers manifestes, il ne s’agit pas de chercher quel modèle, programme ou homme providentiel il faut suivre, mais comment on vit et on résiste dans l’époque obscure elle-même : la condition d’une résistance joyeuse est de renoncer à tout espoir dans un but final chimérique. L’agir qui nous intéresse se situe ici et maintenant.

4) Notre défi est d’éviter le double piège qui se présente à la mouvance alternative. Dispersion et centralisation. D’une part, face aux difficultés concrètes, c’est-à-dire à la complexité, on a tendance à vouloir chercher le leader bien aimé, ou le programme unificateur, empruntant ainsi un raccourci qui ne mène nulle part. Et d’autre part, au nom de la diversité, on a tendance à tomber dans une dispersion qui nous conduit à la dissolution de notre puissance d’agir.

5) L’engagement a aujourd’hui pour nous le sens de construire des instances, intermédiaires entre la dispersion et la centralisation, qui, dans toutes les dimensions de la vie, et pas seulement celles qu’on considère comme politiques, soient capables de retisser du lien social, capables d’épaissir le tissu social. C’est là le premier objectif de la résistance aujourd’hui, loin de toute logique des moyens et des fins.

6)Nous pensons que ce qui structure, fonde et modifie une époque est loin de se réduire à la seule dimension du pouvoir politique. Les processus qui fondent une époque s’inscrivent dans des devenirs propres à la longue durée. C’est pourquoi le CMT s’intéresse aux recherches théoriques et pratiques qui tournent autour de l’expression épochale de la longue durée : virtualisation de la vie et biopouvoir notamment. Ses « chantiers » sont donc multiples et ouverts sur l’ensemble du champs social.

7) Pour nous, l’engagement est possible lorsque nous avons abandonné le récit selon lequel les hommes font l’histoire et sans accepter d’être pour autant ballottés comme des feuilles dans la tempête. Notre question est : que fait l’homme dans l’histoire ?

8) Loin de tout idéalisme consensuel, il s’agir de reconnaître les conflits qui structurent chaque situation et qui sont cachés par le terrorisme du consensus. Notre société essaie d’évacuer tous les conflits et, loin de provoquer une situation de paix, elle ne cesse de produire des violences extrêmes.

9) « Résister, c’est créer », et non seulement s’affronter (même si, dans toute situation, il faut assumer des niveaux d’affrontement différents). Les lignes de résistance-création passent par ces fissures que nous reconnaissons comme étant de véritables « frontières intérieures » du système. Elles sont le lieu de résistance dans nos sociétés, même si elles sont souvent des frontières invisibles. Elles délimitent les « forteresses » des « no man’s land ». Elles séparent les « sans » (sans papiers, sans droits, sans dignité, sans accès aux soins, sans travail…) de ceux qui sont encore « avec ». Ce sont des frontières d’étiquetage de nos sociétés, dans lesquelles se fait voir le projet disciplinaire qui tente d’avancer. Ces frontières sont aussi les lieux d’invention et de création de nouvelles formes de vie, de solidarité, de sociabilité, de distribution des richesses, de nouveaux rapports avec l’environnement, de nouvelles cultures, de nouvelles formes d’art, d’éducation, etc.

10) Notre position de radicalité par rapport au sens de l’engagement dans la société est que la société est tout le monde. Il n’y pas d’exclus ni d’inclus. Les frontières sont des frontières d’étiquetage et d’exclusion. Une frontière est un lieu de production, véritable laboratoire de création d’une nouvelle normativité sociale.

11) La vocation du collectif n’est ni de coopter des gens ou des groupes, ni de diriger des expériences concrètes, mais de faire avec les groupes et les gens qui sont déjà dans des expériences concrètes. Nous pensons que le moment actuel n’est pas à l’extensif-quantitatif, mais à l’intensif-qualitatif. L’importance de chaque expérience ne tient pas à sa taille, mais à la nouveauté qu’elle entraîne. Nous restons convaincus que chaque expérience de résistance/création, au-delà de son efficacité immédiate et de son objectif avoué, fait partie d’un nécessaire soubassement multiple et contradictoire d’où émergera peut-être un rapport de force différent, capable d’enrayer les processus de destruction.

12) Nous fonctionnons sur deux plans, théorique et pratique. Sur le premier, autour d’un séminaire et de la production de textes et de conférences publiques. Sur le second, autour de chantiers pratiques liés aux activités concrètes des membres du collectif. Nos chantiers sont tels que : mouvements sociaux (les « sans » en Argentine et en France), éducation, journalisme, médecine, handicap, culture sourde, art, psychiatrie et psychanalyse, université populaire, travail social (liste non exhaustive). Nous invitons donc tous ceux et toutes celles qui sont engagés et engagées dans des recherches ou des pratiques concrètes à nous contacter pour développer des chantiers ensemble.