Coca si, yanquis no

La télévision nous a appris à agir et penser par arc-réflexes : il y a ainsi des gentils qui font le bien, (les humanitaires par exemple ou d’autres, impuissants, mais de bonne volonté) et les méchants, qu’on considère comme des « barbares », dans le sens où ils menacent la culture, le monde et la si belle civilisation.

Parmi ces gens peu fréquentables on trouve tous ces pervers, qui de manière « inexplicable » produisent par exemple des drogues et autres produits dont les gens biens ne veulent pas entendre parler, mais qu’ils consomment tout de même.

C’est ainsi que, comme tout le monde le sait, dans les banques des pays occidentaux, des millions et des millions de dollars, de ceux qu’on appelle « narcodolars », sont, malgré tout, assez appréciés par les banquiers en question. Tout le monde sait aussi que par exemple la CIA se sert de la production de drogues pour financer ses actions (pas très légales) pour le bien et contre « le mal ».

Lorsqu’on a dit cela, on a tout dit, et malheur à celui qui clamerait ouvertement que si, finalement, on veut réellement lutter contre la mafia et le trafic de drogue, la première chose à faire serait peut-être de légaliser les drogues, car il se verrait alors immédiatement rejeté dans le camp des « mauvais ».

Mais les choses sont tout de même un peu plus complexes car les Etats-Unis, qui se retrouvent désormais sans leur principal allié (l’URSS), comme un pauvre joueur sans son détesté mais inséparable adversaire, ne savent plus comment justifier leur empire sur le monde, leurs interventions et leur impérialisme, qui jusqu’hier étaient réalisés au nom du bien et de l’anticommunisme.

Mais se serait mal connaître l’oncle Sam et son amour pour le bien de croire qu’il ne trouverait pas rapidement une solution à une telle situation. C’est ainsi qu’aujourd’hui, le mal, c’est la drogue (même si eux-mêmes la produisent et si pour cela il est besoin des produits chimiques de Bayer et Boringer…). Le mal a été nommé, et le monde s’ordonne à nouveau.

Mais, au milieu de ce nouvel ordre mondial, apparaissent des personnes qui dérangent, qui empêchent que les choses soient aussi claires que le voudraient les américains. En Bolivie, les planteurs de coca participent à la culture de ce qui, loin de ce que l’idiotie occidentale peut penser, représente un élément fondamental au sein de la culture et de la tradition de l’Altiplano : la coca et la Pachamama, la coca et l’Inti. Les « cocaleros » (producteurs de coca) cultivent ainsi la plante sacrée, centrale dans la culture de ces peuples. Et, loin d’être de riches trafiquants, ces paysans sont pauvres et leur travail difficile.

Une infime partie de cette production est destinée (marché oblige) à l’exportation, car en Bolivie la pauvreté ne permet pas qu’il existe des usines de transformation de la coca en cocaïne, et parce que, d’autre part, le traitement et le trafic de drogue sont du ressort de ceux qui ont beaucoup d’argent, et ne concerne donc aucunement les pauvres paysans.

Mais voilà qui est un peu trop « complexe » au regard du bon téléspectateur occidental. Ainsi, lorsqu’un paysan cocalero se fait tuer, les bonnes gens devant leur poste de télé ne voient là que la mort d’un trafiquant de drogue. Cependant, en Bolivie, les paysans pauvres producteurs de coca défilent dans la rue au rythme de ce curieux slogan : « coca sí, yanquis no ! ».

Mot d’ordre bien difficile à comprendre pour les belles âmes humanitaires qui seraient presque d’accord et laisseraient même couler une petite larme, si les paysans en question criaient : « un peu de pain ! », et si surtout ils abandonnaient cette position anti-américaine que les occidentaux considèrent comme « passée de mode ». L’opinion publique occidentale, et même une bonne partie de l’opinion publique latino-américaine ignore ainsi la lutte des cocaleros, ignorent que toute une région de Bolivie (le Chiapare en l’occurence) se trouve en état d’occupation militaire et que les fameux conseillers américains se promènent sans le moindre problème afin de contrôler si l’ordre règne bien dans leurs colonies.

La force spéciale de répression (non de la cocaïne mais en fait de la culture (au deux sens du terme) de la coca), l’UMOPAR, ou les « léopards » comme on les appellent, se promènent dans leurs véhicules de guerre et s’en prennent à la population civile sans aucun scrupule : personne ne défend en effet les paysans producteurs de coca. Ainsi, peut-être faut-il tout simplement se rendre compte que l’attaque contre la plante sacrée, comme les excuses « humanitaires » qui légitiment l’intervention américaine et de ses pays alliés, ont pour seul objectif de garantir le nouvel ordre mondial.

Face à cela, les positions apparemment anti-américaines des intégristes nationalistes et fascistes de tous les pays ne peuvent nous leurrer : si l’ordre américain est détestable, c’est à cause du projet de monde liberticide qu’il construit, et de ce fait, les nationalistes intégristes et autres fascistes, non seulement ne sont nullement une alternative, mais en sont les alliés naturels.

Face à ce monde complexe et dangeureux, la seule chose qu’on puisse opposer, c’est le courage de la solidarité, de la résistance, d’ouvrir les yeux pour voir que même si la complexité est énorme, il y a des principes, des luttes, des expériences, qui vont dans le sens de ce que nous pourrions appeler le « côté de la vie ». C’est pour cela que connaître, contacter, et diffuser la cause des paysans cocaleros boliviens, est un pas de plus dans le sens du refus de la propagande unidimensionnelle avec laquelle nous intoxiquent les médias.

Bien que la création de ce qu’à d’autres époques on appelait les organisations internationales ne soit pas souhaitable, elles qui agissaient comme de véritables pouvoirs qui finissaient par voler les révoltes aux peuples, il est néanmoins nécessaire de créer des liens, des coordinations et en fin de compte des amitiés entre les gens qui, sous diverses formes et de diverses façons, créent et résistent aux quatre coins du monde. En ce sens, les paysans cocaleros attendent et ont besoin de cette solidarité. Contre le monde unidimensionnel de la transparence et du contrôle : Coca si, yanquis no !