En suivant l’initiative de nos amis zapatistes[1], il nous semble nécessaire de sortir de l’opposition binaire entre le « terrorisme du Hamas » et le « terrorisme de l’État d’Israël ». Nous refusons la position de celles et ceux qui s’empressent de soutenir l’un ou l’autre, de justifier un crime plutôt qu’un autre, piégés dans une logique binaire qui regarde le monde depuis le haut. Nous voulons au contraire penser et regarder le monde depuis le « bas », depuis les peuples qui souffrent et subissent les massacres auxquels nous assistons depuis deux semaines. Car il ne s’agit pas de deux blocs unitaires, opposés l’un à l’autre : les peuples israélien et palestinien sont des multiplicités complexes, souvent agencées entre elles. Il existe une quantité extraordinaire de projets communs, de collectifs contre l’occupation, de mouvements de paix, d’équipes de football dans lesquels grandissent ensemble les enfants des deux communautés, d’écoles alternatives qui, dans le quotidien, nourrissent des formes de résistance-création qui explorent des nouveaux possibles au sein d’une réalité sombre et meurtrière. La logique de la bipolarité arrange toujours ceux qui regardent le monde depuis leur mirador. Elle a comme premier effet d’écraser ces multiplicités résistantes et solidaires, de les étouffer pour que les fissures qu’elles ont réussi à ouvrir, dans un dispositif de guerre, de destruction et d’oppression, se referment au plus vite.
Comme nous l’avons déjà écrit[2], nous refusons toute logique extra-situationnelle[3] qui repose sur une séparation (binaire elle aussi) entre moyens et fin : la fin ne justifie jamais les moyens car elle est tout entière contenue dans chaque moyen. Elle ne peut donc jamais justifier l’écrasement et le meurtre de civils. Un crime n’en légitime pas un autre : toute barbarie est d’une certaine manière une totalité à condamner sans relativisation possible (tout en gardant à l’esprit qu’il n’existe pas de barbares ni de terroristes, mais seulement des actes de barbarie et des actes de terrorisme[4]). Rien ni personne ne peut hiérarchiser la valeur des vies des bébés, des enfants et des femmes, arrachées pendant ces jours dramatiques.
C’est pourquoi nous faisons partie de celles et ceux qui refusent de tirer des plans abstraits sur la comète, en se lançant dans des analyses géopolitiques douteuses (en sachant, de plus, qu’il y a beaucoup d’éléments que nous ne connaissons pas). Plus que de se concentrer sur les stratégies suspectes et cyniques de deux (ou trois, quatre ?) camps, nous préférons être du côté des personnes qui souffrent de ces mêmes stratégies. C’est à eux que vont notre solidarité et notre fraternité.
Miguel Benasayag, Bastien Cany, Teodoro Cohen, Angélique Del Rey, Raúl Zibechi
(Collectif Malgré Tout)
[1] https://enlacezapatista.ezln.org.mx/2023/10/16/de-siembras-y-cosechas/
[2] https://collectifmalgretout.net/2023/10/09/le-terrorisme-est-toujours-reactionnaire/
[3] Pour nous, en effet, il n’existe pas d’extériorité à la situation. L’agir et l’engagement sont déterminés par les asymétries concrètes qui surgissent en situation, et ils ne peuvent pas être justifiés par ce qui lui est extérieur (comme dans le cas d’une « fin » future ou d’un « bien supérieur »).
[4] Comme nous l’avons expliqué lors du dernier séminaire du Collectif : https://www.youtube.com/watch?v=qCD6SWFzFSk