Vous avez dit État ?

Il est de bon ton dans le milieu dit contestataire de ne traiter la question de l’État que sur le mode négatif. Soit on est pour sa destruction et sa disparition totale, soit on le soupçonne de tous les maux. Mais on s’occupe peu de penser l’État dans le sens d’une construction positive.

De fait, nous avons dans une certaine mesure raison, car nous qui nous trouvons du côté de la liberté, notre tâche consiste plutôt à développer la vie, inventer de nouveaux réseaux de solidarité, bref, à créer et ce n’est que très rarement que nous trouvons parmi nos amis des gens qui ont ce goût si particulier pour la gestion des affaires de l’État. Même si, périodiquement, sort des rangs des contestataires une personne ou un groupe qui, à défaut de vouloir prendre le pouvoir dans la conception léniniste de la chose, prétend néanmoins « changer les choses d’en haut ».

La puissance se trouve toujours dans les devenirs multiples au sein de la société, tandis que la gestion est du côté du pouvoir, pouvoir qui, paradoxalement, a maintes fois fait la preuve de son impuissance à changer les choses.

Nous avons toujours, au Collectif Malgré Tout, fait la différence entre gestion et politique : la politique en tant qu’invention et développement de projets de lien social et de solidarité, est toujours ce qui se passe « à la base ». Tandis que l’administration de l’appareil d’État à tous ses niveaux ainsi que les institutions qui en dépendent relève de notre point de vue de la gestion du social. Pouvoir et puissance sont deux concepts qui ramènent à cette division : la puissance se trouve toujours dans les devenirs multiples au sein de la société, tandis que la gestion est du côté du pouvoir, pouvoir qui, paradoxalement, a maintes fois fait la preuve de son impuissance à changer les choses.

Cependant, il n’existe pas selon nous d’opposition entre politique et gestion, mais seulement une nécessité de différencier les qualités et fonctions de chacune de ces deux dimensions. Nous disons qu’il n’existe que des « universels concrets » dans des situations concrètes signifiant par là que les gens peuvent et doivent assumer leur vie réelle en décrochant de la représentation spectaculaire que le pouvoir leur offre. Mais pour autant, dire qu’il faut développer une politique de la puissance ne revient en aucun cas à se rallier au courant néolibéral qui propose justement moins d’État, plus d’« initiatives locales ».

Bien au contraire : nous pensons la question de l’État comme étant un élément de la situation concrète. Ainsi, si certains pensent que l’État et le pouvoir sont l’objectif de toute politique et que d’autres pensent qu’il faut en finir avec l’État, nous pensons pour notre part qu’il s’agit de traiter sérieusement cette question à la condition de ne plus en faire l’axe central de nos préoccupations politiques. La question du pouvoir, fut-ce par le biais de contre-pouvoirs, est donc un élément de la situation et toute politique contestataire faisant fi de cette question tombe, au mieux, dans la position de la « belle âme », au pire, devient l’alliée, comme nous l’avons dit, du néolibéralisme qui tente par tous les moyens de démolir les acquis, les lois et les solidarités que les gens ont su construire à travers des décennies de luttes.

Il n’y a pas de totalitarisme au sein de la puissance, car celle-ci est par essence composition et décomposition du multiple.

Excentrer la question du pouvoir et de l’État signifie que nous devons avoir une politique par rapport à ces instances sans que pour autant cela implique l’accession à ce pouvoir et à cet État. Gestion et politique sont complémentaires ; ainsi, lorsqu’un camarade ou un ami dans un pays quelconque occupe une place dans la gestion institutionnelle, ceci peut être, à l’occasion, une expérience positive sous condition que la personne en question garde clairement en tête le principe d’après lequel la politique comme développement de la puissance des gens se fait au sein de la société et que la gestion comme lieu du pouvoir suit, administre et ordonne les différents flux de la vie sociale. La gestion n’est pas impuissante par caprice, elle est par essence le lieu du complexe, c’est pourquoi toute gestion, tout pouvoir, qui tente, d’en haut, de trancher dans le vif, c’est-à-dire d’orienter fortement la vie sociale, tombe inévitablement dans le totalitarisme. Car c’est au sein de la société, par le développement multiple et conflictuel de la puissance, que les gens définissent des orientations et dessinent des projets en fidélité avec les positions les plus radicales. Il n’y a pas de totalitarisme au sein de la puissance, car celle-ci est par essence composition et décomposition du multiple.

Ainsi, loin de souhaiter l’affaiblissement et la disparition des États, chose qui faciliterait la tâche à la Banque mondiale et au pire des capitalismes, nous devons et nous pouvons développer les mouvements sociaux qui exigent et qui permettent aux hommes et aux femmes de la gestion de proposer des lois qui aillent dans le sens de ces mouvements. Un revenu minimum vital, que la nation française s’enrichisse avec les étrangers qui habitent son territoire, un droit au logement pour tous, des crédits pour la recherche médicale, etc., voilà autant de luttes et de revendications à développer au sein de la société pour qu’un État, le plus démocratique possible, puisse donner suite à ces élans populaires. Enfin, en ce qui concerne l’inquiétante question de la montée du fascisme, les dits représentants du peuple ne pourront produire des lois antifascistes efficaces que dans la stricte mesure où le peuple qu’ils sont censés représenter développe dans le réel de la société un grand mouvement solidaire antifasciste. La question de la politique, en société, ne se joue ni dans l’État, ni dans des situations fermées sur elles-mêmes, mais dans l’articulation de la puissance et de la gestion du pouvoir.

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