Rencontres de novembre à Buenos Aires
Penser et agir dans la complexité :
vers un nouveau paradigme du contre-pouvoir
À l’heure de la post-démocratie, dans une période où le « tout est possible » techniciste nous promet un monde « sans limites » et alors que nous traversons une crise de sens et d’identité d’une ampleur inédite, nous pensons qu’il est urgent de repenser la question des pratiques de résistance et de contre-pouvoir.
Le Collectif Malgré tout (France), la coopérative Lavaca (Argentine), et la Fondation Arché (Italie) ainsi que des personnalités, parmi lesquelles Raul Zibechi (Uruguay), Paolo Bianchini (Italie), Enrico Parsi (Coop Italie), Horacio Crespo (Rosario, Argentine), Carla Giribone (Rosario), Valentina Stirone (Milan), lancent aujourd’hui une invitation à toutes celles et tous ceux qui sont engagés dans des recherches ou des pratiques concrètes visant à comprendre la crise que nous vivons.
Vingt ans après la rédaction du manifeste du Réseau de résistance alternatif, nous pensons qu’il est nécessaire de relancer une réflexion sur les formes de résistance et de création en élaborant de nouvelles hypothèses théoriques et pratiques qui soient à la hauteur des défis de l’époque.
L’appel que nous lançons est une proposition à participer à un processus de travail qui aboutira à l’organisation d’une rencontre internationale à Buenos Aires (Argentine) début novembre. Notre objectif se limite à une action restreinte : travail préparatoire, rencontres, et production d’un nouveau manifeste, point de départ de la création possible d’un réseau ou d’une coordination des expériences alternatives.
Notre travail se structure autour de quelques questions qui nous semblent centrales pour comprendre les nouvelles réalités, défis et menaces de l’époque :
1- Comment participer à la construction d’un nouveau paradigme du contre-pouvoir dans un monde orphelin de la promesse du « bien », où la justice, la liberté et la solidarité n’apparaissent plus comme une évidence sur le chemin de la réalisation d’un seul et même idéal de « progrès » ?
2- Comment agir face à la naturalisation des injustices, dans un monde où les désastres environnementaux, les oppressions et les massacres ne résonnent plus comme des scandales dans la voie vers un monde meilleur, mais simplement comme une dure réalité inévitable ?
3- Comment agir dans un monde où la technologie et la macroéconomie ont comme objectif de dépasser les limites des corps dans un projet post-organique ?
4- Comment agir dans une réalité où le sens du tragique a disparu et où les luttes comme les victimes ne sont plus porteuses d’un socle commun, d’un espoir commun ?
5- Comment penser et agir après l’échec du mythe de l’avènement d’un homme nouveau, rationnel, débarrassé de tout vice, de tout égoïsme, de toute méchanceté, de toute négativité, tel qu’il était conçu par les mouvements millénaristes, progressistes et révolutionnaires ?
6- Comment refuser à la droite réactionnaire le monopole de la pensée d’un homme irrationnel et soumis à ses pulsions ? Et donc, comment agir, résister et lutter pour et par l’être humain que nous sommes, en nous déclarant toutes et tous viables tels que nous sommes ?
7- Comment dépasser le paradoxe de l’impuissance de l’individu écrasé par un déluge d’informations qui l’empêche de connaître et d’agir dans les situations dont il fait partie et qui le constituent ?
8- De quelle façon pouvons-nous concevoir le rôle des corps réels dans les processus de libération et d’émancipation ? Ces mêmes corps qui sont aujourd’hui considérés comme le bruit dans le système : les corps des migrants, ceux des femmes, des Mapuches, des Palestiniens, des SDF, des handicapés, des vieux, des transsexuels… En résumé, les corps de tous les surnuméraires, de tous « ceux qui ne sont pas comme il faut », les corps de ceux qui ne sont « personne ».
9- Comment comprendre, dans un monde de plus en plus déterritorialisé, le retour en force des questions identitaires qui se déclinent désormais dans toutes les dimensions de la vie sociale et individuelle : identités religieuses, nationales, communautaires, régionales, sexuelles… ?
Assumer les défis que posent ces questions passe, selon nous, par la création de nouveaux possibles et l’expérimentation de nouvelles formes de vie multiples, opposées à toute unification ou globalisation. Et comme il s’agit bel et bien de la production de formes, nous sommes convaincus que celles-ci émergeront des sphères sociales, éducatives, artistiques…, c’est-à-dire depuis toutes les pratiques qui engagent les corps. La rencontre programmée en novembre à Buenos Aires a pour objectif de réfléchir et d’approfondir les expériences déjà existantes afin de les renforcer et de les développer. Car il s’agit bien d’aller dans le sens non pas « d’un monde » mais « de mondes » conflictuels et multiples, loin de la discipline et de la transparence imposées la macroéconomie et la nouvelle technocratie numérique.